Un mois déjà que ma saison d'été a commencée. Quatre semaines à être tous les jours en montagne et, déjà, tellement de visages différents, de courses faites, de bulletins météo à interpréter, de topos à consulter, de paramètres à prendre en compte, de choix à faire...
Le quotidien ordinaire pour un guide en plein été, en essayant de toujours garder à l'esprit que pour mes clients, ce jour est exceptionnel.
Mes clients justement : je les remercie de me laisser la plupart du temps carte blanche pour le choix des courses et du programme que je décide bien souvent au dernier moment, pour coller au mieux aux conditions du moment. Cette souplesse nous permet souvent d'utiliser de petits créneaux météo ou de bouger pour aller chercher des microclimats pas si lointains. Ainsi il est bien rare que nous restions inactifs.
À l'heure d'une société qui devient de plus en plus sécuritaire... à l'heure des réservations de refuges via internet avec empreinte de CB... à l'heure des séjours qui sont vendus en agence comme on vend des machines à laver... Je me sens plus que jamais comme un artisan de la montagne. Un artisan qui fait du sur mesure plutôt que du volume. Un client restera toujours quelqu'un avec qui je vais partager et vivre une aventure unique. Avec qui je vais former une cordée.
L'autre jour en refuge, j'ai relu un édito de Jean Michel Asselin dans un vieux Vertical. Un texte élogieux pour les guides que je ne résiste pas à vous livrer en le remerciant.
Je vous propose aussi un petit diaporama de ces journées.
Edito de Jean Mi Asselin, Vertical n°18, novembre 2001
"Chaque été je suis épaté par les guides. Ceux que l'on croise entre deux courses dans les refuges. Ils arrivent d'une montagne, ils repartent sur une autre. Ils effectuent en une semaine plusieurs fois le rêve annuel d'un alpiniste. Quand notre rêve s'achève, qu'il ne reste que la vallée, les retrouvailles avec les copains: « T'aurais vu ce sommet, une merveille! » ; le guide, lui, est de nouveau sur la brèche. Il lui faut renouer avec une cordée nouvelle, trouver les mots, trouver la force de faire et refaire des pas déjà faits. On n'a jamais conscience de l'incroyable amour de la montagne qu'il est nécessaire de vivre dès lors que l'on est guide. Essayez d'enchaîner tous les jours de vos vacances des voies comme on accumule des footings. Essayez un mois durant de conduire tous les jours une cordée sur un sommet; de partager les soirées en refuge au quotidien; de vous lever à l'aube et de marcher, grimper, le sac plein et la tête perpétuellement attentive. Le guide a quelque chose de mystérieux, sa force que l'on ne perçoit pas toujours au cours d'une simple course se renouvelle tous les jours. Il est certes payé, mais sommes-nous certains que le salaire explique cette vitalité, cette disponibilité, cette attention et cette intelligence de la montagne ?
Je les vois dans les refuges répondant aux mêmes questions. Je les vois chaque fois avec cette même flamme de l'inquiétude, cette même flamme de la passion. Ils sont là, fidèles à je ne sais quelle mission, sinon celle d'ouvrir la porte des rêves, la porte de l'exceptionnel aux gens simples que nous sommes. Ont-ils conscience que cette course parmi cent autres va être le centre de toutes les conversations des jours durant dans le salon d'un appartement lointain ?
Je le pense, car j'ai toujours surpris à l'instant où il faut mettre les crampons dans le faisceau des frontales une attention démesurée, quasi paternelle de la part des guides. La réussite de leur travail tient évidemment à la qualité du métier qu'ils possèdent. Il tient aussi à ce sourire discret que transmet celui qui est à sa place, sa vraie place. J'entends déjà les aimables protestations : « C'est pas toujours comme ça. y'a des jours où c'est dur, où l'envie manque, où la fatigue est trop forte. » C'est peut-être vrai. Mais il y a surtout des jours et des jours où sur le chemin de là-haut on perçoit la fierté, le bonheur de guider. Les clients disent « mon guide ». Un possessif qui dit tout du lien créé par la corde et ils avoueraient sans peine quand vient le moment de douter (il existe toujours en montagne), que "celui qui va devant" leur apporte le goût de se dépasser, de grandir, de ne pas se mépriser. Dans les documents officiels, on pourra toujours réduire les guides à de simples acteurs de l'économie touristique, on n'oubliera jamais que la haute montagne leur appartient, qu'ils ont légitimité et obligation de la protéger pour la seule raison qu'ils sont les rares à pouvoir nous y inviter. Quel festin la montagne !"
"Chaque été je suis épaté par les guides. Ceux que l'on croise entre deux courses dans les refuges. Ils arrivent d'une montagne, ils repartent sur une autre. Ils effectuent en une semaine plusieurs fois le rêve annuel d'un alpiniste. Quand notre rêve s'achève, qu'il ne reste que la vallée, les retrouvailles avec les copains: « T'aurais vu ce sommet, une merveille! » ; le guide, lui, est de nouveau sur la brèche. Il lui faut renouer avec une cordée nouvelle, trouver les mots, trouver la force de faire et refaire des pas déjà faits. On n'a jamais conscience de l'incroyable amour de la montagne qu'il est nécessaire de vivre dès lors que l'on est guide. Essayez d'enchaîner tous les jours de vos vacances des voies comme on accumule des footings. Essayez un mois durant de conduire tous les jours une cordée sur un sommet; de partager les soirées en refuge au quotidien; de vous lever à l'aube et de marcher, grimper, le sac plein et la tête perpétuellement attentive. Le guide a quelque chose de mystérieux, sa force que l'on ne perçoit pas toujours au cours d'une simple course se renouvelle tous les jours. Il est certes payé, mais sommes-nous certains que le salaire explique cette vitalité, cette disponibilité, cette attention et cette intelligence de la montagne ?
Je les vois dans les refuges répondant aux mêmes questions. Je les vois chaque fois avec cette même flamme de l'inquiétude, cette même flamme de la passion. Ils sont là, fidèles à je ne sais quelle mission, sinon celle d'ouvrir la porte des rêves, la porte de l'exceptionnel aux gens simples que nous sommes. Ont-ils conscience que cette course parmi cent autres va être le centre de toutes les conversations des jours durant dans le salon d'un appartement lointain ?
Je le pense, car j'ai toujours surpris à l'instant où il faut mettre les crampons dans le faisceau des frontales une attention démesurée, quasi paternelle de la part des guides. La réussite de leur travail tient évidemment à la qualité du métier qu'ils possèdent. Il tient aussi à ce sourire discret que transmet celui qui est à sa place, sa vraie place. J'entends déjà les aimables protestations : « C'est pas toujours comme ça. y'a des jours où c'est dur, où l'envie manque, où la fatigue est trop forte. » C'est peut-être vrai. Mais il y a surtout des jours et des jours où sur le chemin de là-haut on perçoit la fierté, le bonheur de guider. Les clients disent « mon guide ». Un possessif qui dit tout du lien créé par la corde et ils avoueraient sans peine quand vient le moment de douter (il existe toujours en montagne), que "celui qui va devant" leur apporte le goût de se dépasser, de grandir, de ne pas se mépriser. Dans les documents officiels, on pourra toujours réduire les guides à de simples acteurs de l'économie touristique, on n'oubliera jamais que la haute montagne leur appartient, qu'ils ont légitimité et obligation de la protéger pour la seule raison qu'ils sont les rares à pouvoir nous y inviter. Quel festin la montagne !"
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